La responsabilité sociale de l'entreprise - Quels rôles pour le DAF et le contrôleur de gestion ?

LE REPORTING SOCIETAL est un outil de pilotage stratégique et opérationnel de l’entreprise. Il est spécifique à chaque entreprise et reflète son activité, son organisation et sa culture. Il comporte plusieurs dimensions. Il regroupe des indicateurs quantitatifs et qualitatifs, dont les coûts de collecte et de traitement sont différents, et dont les périodicités et les modalités de traitement varient d’une entreprise à l’autre. Le statut de chaque donnée doit être précisé : donnée extraite d’un document contractuel, issue d’une base de données interne ou collectée sur un site officiel ou officieux, précise ou estimée…

 

Une partie des données est issue du reporting conventionnel (comptable, financier, budgétaire…) ; des campagnes spécifiques de collecte d’information sont organisées pour les autres données sociales et environnementales. Ces données ont des granularités variées (elles sont établies pour l’ensemble de l’entreprise, par établissement, service, salarié, fournisseur, client…). Plus la granularité est fine, plus les managers sont responsabilisés. Les variations anormales ou contradictoires de données d’une période à l’autre (généralement d’un exercice à l’autre) doivent faire l’objet d’une analyse des causes possibles de leurs variations par le contrôleur de gestion ou l’auditeur responsable du reporting. Le protocole doit être mis à jour périodiquement, notamment en fonction de l’évolution des attentes les plus significatives des parties prenantes (recueillies dans le cadre d’études d’impacts) et de la stratégie de l’entreprise.

 

DES MISSIONS D'UN NOUVEAU GENRE

 

Pour conduire les projets socialement responsables, le directeur administratif et financier (DAF) dispose de l’autorité et des compétences nécessaires en sa double qualité de membre du comité de direction et de responsable des services financiers et comptables. Le caractère stratégique de la plupart des projets sociétaux, la nécessité de les harmoniser avec les autres projets de l’entreprise, les obligations inhérentes aux publications financières, les interactions avec les autres unités de contrôle de l’entreprise (audit, management des risques, gestion des assurances, contrôle de gestion…) invitent souvent à choisir le DAF comme pilote des projets.
Le DAF et le contrôleur de gestion (CG) sont généralement moteurs dans les domaines suivants : l’évaluation des coûts et de la rentabilité des projets RSE ; l’intégration de ces projets dans les processus de plans et de budgets de l’entreprise ainsi que des indicateurs RSE dans les processus de reporting existants ; la fusion de ces indicateurs dans le tableau de bord global ; l’assistance-conseil des partenaires financiers (auditeurs, banques, analystes…) dans la compréhension des données de la RSE ; l’analyse des performances économiques, sociales et environnementales à long terme de l’entreprise. Cette globalisation du reporting peut être facilitée par des approches dérivées du tableau de bord prospectif (balanced scorecard).

 

Valoriser les actifs immatériels de l’entreprise. La mise en oeuvre d’une politique stratégique socialement responsable contribue généralement à revaloriser l’entreprise, dans la mesure où elle développe de nouvelles sources d‘avantages concurrentiels fondées sur la motivation des salariés, la fidélisation des clients, la promotion de l’image de marque, l’éco-conception, les reconfigurations organisationnelles, la coopération avec les partenaires, fournisseurs et sous-traitants… Les DAF et les CG sont les plus qualifiés pour valoriser correctement les actifs immatériels de l’entreprise, qui revêtent de multiples formes : actifs humains (capacités d’innovation, compétences et connaissances des salariés), actifs clients (fonds de commerce), actifs de marque (marques, enseignes et signes protégeables), actifs technologiques (brevets, droits d’auteur…), actifs organisationnels (structures, processus et systèmes), actifs réseau (synergie entre partenaires, fournisseurs et sous-traitants)… Ces actifs immatériels – mesurés par l’écart entre la valeur boursière et la valeur comptable d’une entreprise – représentaient, avant la crise de 2008, environ les deux tiers de la valeur économique intrinsèque.

 

LES IMPLICATIONS COMPTABLES DU DEVELOPPEMENT DURABLE

 

En matière de développement durable, l’Autorité des marchés financiers (AMF) a souligné l’importance de l’information environnementale et sociale, en exigeant « qu’elle soit de nature à avoir une incidence significative sur la situation financière de l’émetteur, sur son activité ou son résultat », et qu’elle figure dans les prospectus et les documents de référence.

 

Quelles informations faut-il fournir ? La recommandation du Conseil national de la comptabilité (CNC) du 21 octobre 2003 prévoit les conditions dans lesquelles cette information doit être réalisée. En annexe, elle fournit la liste des informations à publier : description de la nature des passifs environnementaux d’importance significative avec indication du calendrier et des conditions de règlement, méthode choisie en matière de coûts de démantèlement et de restauration de site, montant des dépenses environnementales significatives, montant des actifs environnementaux comptabilisés au cours de l’exercice, montant des aides publiques reçues ou promises, liées à la protection de l’environnement.

 

Avec quels outils ? Le manager socialement responsable fait appel aux outils conventionnels de la comptabilité de gestion. La rigueur comptable assure la crédibilité et la légitimité du reporting sociétal. L’information financière contenue dans les comptes annuels doit être complétée dans les entreprises de plus de 500 salariés par la publication d’un rapport de gestion dans lequel il est possible d’intégrer des informations non financières et des informations spécifiques liées à des textes particuliers. Le contenu informatif des données du tableau de bord n’a pas la même signification selon le destinataire.

 

L'EVALUATION DE LA RENTABILITE DES PROJETS SOCIALEMENT RESPONSABLES

 

Des problématiques inédites. Les coûts et la rentabilité des projets doivent être évalués à moyen et long termes. Cette approche oblige à considérer les coûts comme probables et/ou incertains, ce qui rend la rentabilité plus difficile à déterminer avec précision, compte tenu des multiples scénarios d’évolution possibles. Cette démarche à long terme permet cependant d’optimiser le management des risques (avec toutes les parties prenantes) et de mieux prévoir les résultats futurs. Même si un investissement socialement responsable engendre à court terme des coûts supplémentaires par rapport à un investissement conventionnel, il permet souvent de générer des économies nouvelles : un investissement dans la formation à la sécurité des salariés contribue à la diminution du nombre d’accidents du travail et du taux d’absentéisme. La question que se pose le décideur est alors de savoir ce que cela coûterait de ne rien faire.

 

L’approche par les « coûts cachés » permet de réaliser au mieux cet exercice. Elle rompt le cercle vicieux conduisant certaines entreprises à réduire leurs prix de revient en s’exonérant de certaines responsabilités qu’elles délèguent à la collectivité, par exemple, les effluents pollués traités par les communes, les salariés accidentés ou en mauvaise santé physique et/ou morale indemnisés par la sécurité sociale, la non-qualité des produits portant atteinte à la sécurité ou à la santé publiques… Cette « ré-internalisation » invite le DAF et le CG à prendre en compte des éléments non monétaires pour évaluer la « performance durable ». Le prix de revient ainsi obtenu devient « juste » ; il garantit la pérennité de l’entreprise et la durabilité de son environnement.

 

Article écrit par Denis GNANZOU

Attaché temporaire d'enseignement et de recherche (ATER)

Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne (PRISM-Sorbonne pôle ISO)