Crise et Droit des Entreprises

Les crises ont toujours été présentes. Quelles soient économiques, sanitaires ou politiques elles ont toujours été facteur de changement et d’amélioration. Au niveau de l’économie la crise est définie comme une dégradation brutale de la situation économique et des perspectives économiques.

 

La crise dans laquelle nous faisons face aujourd’hui est particulière. En effet, il s’agit au départ d’une crise sanitaire mondiale qui s’étend à une crise économique. La pandémie due au nouveau coronavirus ne cesse de prendre de l’ampleur. Fermetures de frontières, confinements de population, déclarations d’état d’urgence, suspensions des liaisons aériennes et maritimes.

 

D’un bout à l’autre de l’Union Européenne, comme dans le reste du monde, les mesures d’exception se multiplient pour tenter de contenir l’expansion de la maladie. La moitié de l’humanité est désormais soumise à des mesures de confinement, et économies et travailleurs apparaissent comme les victimes collatérales du virus Covid-19. L’activité du secteur privé dans la zone euro a chuté à son plus bas niveau historique en mars. Il est donc nécessaire de préparer l’après-crise.

 

I. Des adaptions légales primordiales

 

« La situation était grave, mais qu'est-ce que cela prouvait ? Cela prouvait qu'il fallait des mesures encore plus exceptionnelles[1]. » écrivait Albert Camus dans la Peste. C’est en ce sens que la crise sanitaire COVID-19 mérite des mesures exceptionnelles. Les États ont été contraint d’accommoder leurs systèmes, de trouver des mesures rapides et efficaces afin de répondre à ce contexte très rare.

 

Le droit est une matière changeante, renouvelable, adaptable à la société, à l’évolution des mœurs. Il est également assez contraignant et la sécurité juridique demeure essentielle. C’est pourquoi, il est primordial pour les États de trouver un compromis entre la force obligatoire de la loi et son adaptation face à une telle crise. En France, ce concept a été mis en place par la loi du 3 avril 1955 consacrant l’état d’urgence. L’état d’urgence répond à une nécessité d’agir vite, de trouver des solutions rapides afin d’éviter ou d’amenuiser les conséquences d’une situation inattendue. L’état d’urgence sanitaire concernant le COVID-19 a été déclaré le 23 mars 2020 pour une durée de 2 mois.

 

C’est dans cette perspective que le droit des entreprises a dû se confronter à cette crise et trouver ou appliquer les solutions légales les plus adéquates.

 

1. L’application du mécanisme de force majeure et d’imprévision

Commençons par aborder l’un des mécanismes les plus célèbre du droit civil étroitement lié au droit des entreprises : le cas de force majeure. Conformément à l’article 1218 du code Civil « Il y a force majeure en matière contractuelle lorsqu’un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l’exécution de son obligation par le débiteur ». Le virus COVID-19 est-il un cas de force majeure ?  A priori, lorsque l’on prend l’historique jurisprudentielle, il semblerait que non. En effet, les juges ont toujours considéré les maladies comme étant des évènements totalement prévisibles et non suffisamment mortelle pour arguer le cas de force majeur. Tel avait été le raisonnement répondant à la crise du H1N1, du Chikungna, de l’épidémie de la Dengue ou encore du virus Ébola.

 

Constatant l’ampleur du virus du corona sur la société mondiale, notamment les mesures de confinement, les mesures douanières, et le nombre tragique de décès, force est de constater que ce virus se place dans un contexte inédit et totalement imprévisible. La force majeure a pour principal effet de suspendre le contrat, si la suspension du contrat rend inutile ou caduque la prestation, le contrat peut dans ces circonstances être valablement résolu. Ainsi, la force majeure peut être invoquée par une société, qui suite aux mesures prises par les services publics, n’a pas pu honorer ses engagements. Encore faut-il que le contrat ne contienne aucune stipulation contraire. 

 

Le cas de force majeure n’a pas été le seul mécanisme au cœur des débats juridique faisant suite au virus. L’imprévision a notamment était vu comme la possible solution à toute cette agitation. L’imprévision suppose, selon l’article 1195 du Code civil, le bouleversement inattendu de l’équilibre contractuel qui ne résulte pas d’un cas de force majeure mais qui rend l’exécution d’un contrat anormalement onéreux pour une des parties ou plusieurs des parties. L’imprévision suppose donc un changement de circonstances imprévisibles au moment de l’exécution du contrat le rendant excessivement onéreux. L’imprévision a pour principal effet la résolution du contrat ou son adaptation par le juge. Quoi qu’il en soit, les entreprises devront choisir le mécanisme le plus approprié à leur cas. Force majeure ? Imprévision ? sacré dilemme puisqu’ils emportent les mêmes effets.

 

2. L’adaptation des délais et des juridictions

L’apparition du virus COVID-19 a également engendré une adaptation des délais d’exécution forcée en matière civile mais aussi en matière des délais échus durant une période déterminée. Ces adaptations, bien que civiles ont un réel impact en droit des entreprises.  

 

Tout d’abord, le législateur a judicieusement restreint les mesures concernant les délais d’exécution. Cet encadrement permet de conserver la sécurité juridique tout en apportant des solutions face aux évènements actuels. L’ordonnance du 25 mars 2020, vise donc « les délais et mesures qui expirent entre le 12 mars 2020 et l'expiration d'un délai d'un mois à compter de la date de cessation de l'état d'urgence sanitaire déclaré dans les conditions »[2].

 

Une première ordonnance a été prise pour l’adaptation des règles applicables aux juridictions de l’ordre judiciaire statuant en matière non pénale et au contrat de syndic de copropriété[3]. Cette ordonnance induit la possibilité pour le premier président de la cour d’opérer un transfert de compétence vers une autre juridiction si la juridiction de premier ressort est dans l’incapacité de fonctionner correctement. Elle organise également les modalités de communication des suppressions d’audience par le greffe. Elle crée des procédures sans audiences, à juge unique avec un moyen de télécommunication audiovisuelle avec une publicité restreinte ou en chambres du conseil et enfin la possibilité pour le juge des référés de rejeter avant l’audience.

Une seconde ordonnance portant sur les modalités de prorogation des délais échus pendant une certaine période. Une circulaire du 26 mars 2020 est venue préciser les modalités. Elle vise dans un premier temps tout acte, recours, action en justice, formalité, inscription, déclaration, notification ou publication qui aurait pour conséquence d’affecter le contrat de quelque manière qu’elle soit (nullité, caducité, inopposabilités, prescription). Elle présume ainsi leur accomplissement dans le délai légal imposé dans la limité de deux mois. Force est de constater que la prorogation des délais ne concerne en aucun cas le paiement des obligations contractuelles et les délais contractuellement prévus. Ces délais tombent, en toute logique, sous l’égide de la force majeure ou du mécanisme de l’impossibilité d’agir. En matière d’astreinte, elles sont réputées n’avoir pas pris cours ou produit d’effet si le point de départ du délai correspondait à la période définit par l’ordonnance. 

Plusieurs délais ne sont pas concernés par l’ordonnance, il semble logique que bien que l’État soit en état d’urgence, toute justice ne peut être oubliée.  Les délais concernant les règles de droit pénal ou encore les délais concernant les procédures et délais applicables devant le juge des libertés et bien d’autres sont maintenus.

 

3. L’adaptation du droit des sociétés

Pour finir, le droit des sociétés a également dû s’accommoder en attribuant des mesures exceptionnelles pour les PME clôturant leurs comptes entre le 30 septembre 2019 et le 24 juin 2020[4]. Parmi ces mesures figurent : la prorogation de trois mois de la présentation des comptes annuels s’effectuant normalement le 31 mars 2020 soit au cœur de la période de confinement. Cette prorogation ne s’appliquant pas aux sociétés ayant nommées un commissaire aux comptes, si ce dernier a émis son rapport annuel avant le 12 mars 2020. Ensuite, la communication des documents aux associés présentés à l’assemblée générale annuelle peut être transmise par voie électronique, l’utilisation de conférence audiovisuelle ou téléphonique est autorisée pour la participation d’une assemblée générale. Enfin le recours à la consultation écrite est autorisé pour la prise de décision en assemblée.

Le droit s’est donc efforcé à faire face au contexte actuel, mais une adaptation du droit seule n’est pas suffisante. L’État a donc dû réagir pour que les entreprises puissent faire face aux conséquences désastreuses de la pandémie sur l’économie. C’est en ce sens que des aides ont été mises en place.

 

II. Des mesures exceptionnelles indispensables

 

Le Gouvernement a émis des ordonnances ayant pour but d’aider financièrement les entreprises et les start-ups les plus touchées par cette crise sanitaire.

 

Ces ordonnances prévoient notamment le report des échéances fiscales et sociales, l’activité partielle pour les salariés, le report des loyers, des factures, la création d’un fonds de solidarité pour les PME, l’obtention de prêts de trésorerie garantis par l’État ou encore la saisine de la médiation du crédit pour négocier avec votre banque un rééchelonnement de vos crédits bancaires.

 

1. Report des loyers, des factures d’eau et de gaz

Le président de la République a annoncé lundi 16 mars 2020 le report du paiement des loyers, factures d’eau, de gaz et d’électricité pour les plus petites entreprises en difficulté.         

Pour bénéficier de ces reports, il suffit d’adresser directement par mail ou par téléphone une demande de report à l’amiable aux entreprises auprès desquelles l’entreprise doit payer ses factures.

 

La neutralisation des sanctions pour non-paiement des loyers et le report de paiement des factures d’énergie sont réservés :

 

Aux entreprises appartenant à la liste de celles qui sont éligibles au fonds de solidarité (art. 1er du décret. N° 2020-371 du 30 mars 2020) mais sans exclure cette fois les entreprises en cessation des paiements déclarée ou en difficulté́ au sens du règlement UE précité́ ;

 

Et qui remplissent les deux conditions visées à l’article 2 du décret n° 2020-371 : interdiction d’ouverture au public et perte de 70 % au moins de leur chiffre d’affaires au mois de mars 2020. La condition alternative pour l’accès au fonds de solidarité́ est devenue une condition cumulative pour le bénéfice de la suspension des sanctions pour non-paiement des loyers et du report des factures d’énergie.[5]

 

Il conviendrait de parler d’une « dé-protection » des petites entreprises. En effet, indépendamment du parcours du combattant imposé aux PME affectées par la crise sanitaire pour qu’elles espèrent obtenir le fonds de solidarité prévu, les locataires de locaux commerciaux qui peuvent bénéficier de la neutralisation des sanctions pour non-paiement de leur loyer ou d’un report de paiement de leurs factures d’énergie sont désormais encore moins nombreux !

 

Nous sommes bien loin de la suspension du paiement des loyers annoncée par la parole présidentielle du 16 mars.

 

La quasi-totalité des commerçants de notre pays, locataires et locaux dont la fermeture au public a été ordonnée, est aujourd’hui exposée, sans « texte-barrière » à des sanctions pour non-paiement de leurs loyers et charges.

 

2. Le fonds de solidarité

L’État, les Régions et certaines grandes entreprises ont mis en place un fonds de solidarité au bénéfice des très petites entreprises impactées par l’épidémie. Le ministère de l’économie a précisé les modalités d’attribution de cette aide de 1500 euros.  [6]

 

Ainsi, peuvent être concernées notamment les TPE, indépendants et micro-entrepreneurs des secteurs les plus impactés, c'est à dire les secteurs qui font l’objet d’une fermeture administrative (commerces non alimentaires, restaurants, etc.) mais aussi l’hébergement, le tourisme, les activités culturelles et sportives, l’événementiel et les transports.

 

L’article 1 du Décret n°2020-371 du 30 mars 2020 relatif au fond de solidarité à destination des entreprises particulièrement touchées énonce le champ d’application de ce fonds.

Les entreprises peuvent bénéficier de ce fonds si :

 

  • Elles ont débuté leur activité avant le 1er février 2020 ;
  • Elles n’ont pas déposé de déclaration de cessation de paiement au 1er mars 2020 ;
  • Leur effectif est inférieur ou égal à 10 salariés
  • Le montant de leur chiffre d’affaires constaté lors du dernier exercice clos est inférieur à un million d’euros
  • Leur bénéfice imposable augmenté le cas échant des sommes versées au dirigeant, au titre de l’activité exercée, n’excède pas 60 000 euros au titre du dernier exercice clos.
  • Les personnes physiques ou, pour les personnes morales, leur dirigeant majoritaire ne sont pas titulaires, au 1er mars 2020, d’un contrat de travail à temps complet ou d’une pension de vieillesse et n’ont pas bénéficié au cours de la période comprise entre le 1er mars 2020 et 31 mars 2020, d’indemnités journalières de sécurité sociale d’un montant supérieur à 800 euros ;
  • Elles ne sont pas contrôlées par une société commerciale au sens de l’article L233-3 du code de commerce ;
  • Lorsqu’elles contrôlent une ou plusieurs sociétés commerciales, la somme des salariés, des chiffres d’affaires et des bénéfices des entités liées respectent les seuils fixés ;
  • Elles n’étaient pas, au 31 décembre 2019, en difficulté au sens de l’article 2 du règlement (UE) n°651/2014 de la Commission du 17 juin 2014 déclarant certaines catégories d’aides compatibles avec le marché intérieur en application des articles 107 et 108 du traité.

 

Ainsi, les entreprises y compris les microentreprises aux petites entreprises (moins de 10 salariés) qui font moins d’un million d’euros de chiffre d’affaires et qui ont connu une fermeture administrative ou une baisse du chiffre d’affaires d’au moins 50% en raison de l’épidémie peuvent bénéficier de l'aide, si elles répondent aux conditions ci-dessus mentionnées. [7]Ce fond est institué pour une durée de trois mois mais peut être prolongée par décret pour une durée d’au plus trois mois.

 

Si on bénéfice de l’aide précitée, on emploie au moins un salarié en CDI, justifie notre impossibilité de régler nos dettes exigibles dans les trente jours suivants et d’avoir vainement demandé une aide de trésorerie à notre banque, les mêmes entreprises peuvent bénéficier d’une aide complémentaire de 2 000 € en faisant la demande au plus tard le 31 mai 2020, accompagnée ici encore d’une déclaration sur l’honneur, de justificatifs de notre situation financière et bancaire et d’un plan de trésorerie à 30 jours démontrant le risque de cessation des paiements.

 

3. La médiation

La médiation s’adresse à toute entreprise, quelle que soit sa taille ou son secteur, confrontée à un différend avec un client ou fournisseur, qu’il soit privé ou public. Le médiateur est un facilitateur neutre, impartial et indépendant, qui aide les parties à trouver ensemble une solution amiable de résolution du conflit les opposant.  Le processus s’effectue en toute confidentialité, gratuitement et de façon rapide.[8]

 

Ecrit par :

BOUZEBOUDJ Meïssa

MIMOUNI Leïla

Etudiantes du MBA 2 Droit des Affaires Internationales

 

[1] Albert Camus, La peste,1947

[2] Ordonnance n°2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période      d'urgence sanitaire et à l'adaptation des procédures pendant cette même période

[3] Cyrille Auché, Nastasia De Andrade, Coronavirus : impact sur les délais pour agir et les délais d’exécution forcé en matière civile, Dalloz-actualité,  30 mars 2020

[4] Arnaud Raynouard, Frédérick Wlodkowski, Les assemblées générales à l’épreuve des sociétés  du confinement Dalloz-actualité, 25 mars 2020

 

[5] Alain Confino, Coronavirus : sort des loyers des entreprises au regard des textes d’urgence sanitaire, Dalloz-actualité, 2 avril 2020

[6] Xavier Delpech, le fonds de solidarité pour les très petites entreprises désormais opérationnel, Dalloz-actualité, 1 avril 2020

[7] Entreprises : comment bénéficier du fonds de solidarité pour faire face à la crise coronavirus ?  Entreprises.cci-paris-idf.fr

[8] Le médiateur des entreprises : www.economie.gouv.fr/médiateurdesentreprises